Les mémoires d'Hiroshima

 

900 clichés échelonnés entre 1918 et 2006, mis bout à bout, générés en une cadence saccadée. 10 minutes de film, cristallisant un siècle de la mémoire d'une ville. À travers le regard de Jean-Gabriel Périot, ce sont les souvenirs des habitants de Hiroshima qui sont réveillés. Magnifiés.

Avec Nijuman no borei, le photographe et vidéaste Jean-Gabriel Périot a réussi à maîtriser une explosion photographique au pouvoir émotionnel non exagéré. Son film possède la beauté japonaise de l'élan contemplatif, montrant la ville d'Hiroshima à travers le prisme des instants volés, des photos souvenirs, des mémoriaux clichés. Un bâtiment crève l'écran: c'est le dôme de la bombe A - le Gen Baku dôme - qui se déploie sur toute la durée du film. Au cœur d'un paysage en mouvement, la construction semble seule résister à l'intolérable bombardement, tient debout malgré l'attaque et les années, resplendit encore aujourd'hui, symbole d'une guerre sans nom mais surtout gage de paix, pour l'ensemble de la population.

La paix, credo des habitants d'Hiroshima poussé parfois jusqu'à la naïveté, est le maître-mot de la cité. « A Hiroshima, tout tourne autour de la paix. Ils veulent sans cesse œuvrer pour elle. Du coup, ils sont plutôt heureux de ce projet qu'ils voient comme une action en direction de l'occident "· Dans sa trame narrative, rythmée par l'apparition superposée des photographies, Nijuman no borei  joue avec notre regard, lui faisant faire un 360° autour de l'ancien hall d'exposition (fonctionnalité originelle du Gen Baku dôme). L'artiste avait déjà exploité la technique de l'assemblage de clichés dans un ordre chronologique pour 3 autres films, mais celui-ci est le plus abouti au sens où l'animation y est la plus fluide ». Fluide mais pas lisse. Auteur d'une quarantaine de vues parmi les plus récentes utilisées, il s'est imposé de hacher son travail en ajoutant des photos de tiers afin de conserver l'effet « patchwork », la multiplicité des regards qui insufflent au film une émotion collective, les soubresauts et les décrochages qui illustrent la fragilité des esprits encore endeuillés.

Récompensé par plus de vingt prix en 2007, le film de Jean-Gabriel Périot est la preuve d'un talent manifeste. Le CNC qui lui a attribué le prix à la qualité, Les Cahiers du Cinéma qui l'ont choisi pour une projection de courts métrages actuellement en tournée, ou Centre Images qui a participé au financement ne s'y sont pas trompés. Le film que vous aurez l'occasion de voir en projection à la Chapelle Saint Jacques est tout simplement immanquable, tant pour ses qualités esthétiques que pour la mémoire condensée qu'il incarne.

 

Hélène Gosset
Médialoire 2007